MaPrimRenov', Sécu et taxe Zucman : les médias ne comprennent rien à la dépense publique
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MaPrimRenov', Sécu et taxe Zucman : les médias ne comprennent rien à la dépense publique

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Du dérapage budgétaire aux retraites, en passant par le projet d'imposition du patrimoine des ultra-riches, les médias mettent sans cesse sur le même plan les dépenses de l'État et celle de la Sécu, créant un flou délétère autour de la notion de "dépenses publiques".

Il faut parfois se laisser aller à créer des passerelles incongrues entre les choses, pour mieux comprendre l'idéologie sous-jacente. Faisons, pour aujourd'hui, appel à François Lenglet, chroniqueur en chef de l'économie à TF1. Le 9 juin dernier, le journaliste à la cravate rouge est revenu dans le 20 heures sur les artisans qui "enragent" alors que le gouvernement avait annoncé quelques jours plus tôt, la suspension de MaPrimeRenov', un dispositif qui servait, notamment aux ménages les moins aisés, à financer des travaux de rénovation de leurs passoires thermiques. Face à son succès, le dispositif commençait à coûter trop cher, d'où son arrêt envisagé - il va finalement être rétabli en septembre après une nouvelle colère du président de la République qui trouvait cette suspension peu adaptée au contexte climatique. 

Et donc, lors de sa chronique, Lenglet a tenté un parallèle entre les artisans du bâtiment pas contents, et la grogne des taxis, qui protestaient contre la diminution des subventions pour les transports sanitaires.

Car pour Lenglet, ce qui relie les taxis aux entrepreneurs de l'isolation, c'est que ce sont deux secteurs privés qui vivent "largement des subsides de l'État et de la Sécu.". Et le journaliste de rappeler cette sacro-sainte data de la théologie néolibérale : la dépense publique en France représente "57% de la richesse nationale" (taux le plus élevé de l'OCDE). "Elle fait vivre presque tous les secteurs de l'économie. Le bâtiment et les taxis, mais aussi l'industrie du cinéma, très subventionnée, les médecins et les pharmaciens, financés par la Sécu, les agriculteurs avec les aides de la PAC, les journalistes avec le soutien à la presse écrite." Ainsi l'éditorialiste sus-nommé conclut-il sa chronique express : "Autant dire qu'il est diablement difficile de réduire les dépenses publiques dans un pays où tout le monde en dépend, à cause de l'extension incontrôlée de l'État. Chez nous, il n'y a pas 5,7 millions de fonctionnaires, mais 68 millions, autant que de Français."

Confusion entre ce qui relève du public et ce qui relève de l'Etat

Si on en passe par Lenglet, c'est parce qu'au fond, il symbolise à la perfection la confusion créée par les journalistes - sans doute parfois à leur corps défendant - entre ce qui relève de l'Etat, et ce qui relève du public. Lenglet met sur le même plan des aides gouvernementales (MaPrimeRenov') et des prestations sociales (le remboursement par le Sécu du transport médical). L'un est géré par l'Etat. L'autre, par des caisses autonomes (alors certes, qui le sont de moins en moins) de droit privé, mais chargées d'une mission publique. Celles-ci gèrent - entre autres - le chômage et la Sécurité sociale (maladie, vieillesse, famille). Les unes sont financées historiquement par l'impôt (prélevées sur les salaires), les autres par des cotisations sociales (du salaire socialisé).

De fait, les dépenses publiques incriminées par Lenglet, regroupent les dépenses de l'Etat ainsi que l'ensemble des prestations sociales fournies par ces caisses autonomes - et encore d'autres choses. Or, dans bien des articles et des prises de parole médiatiques, la différence est rarement faite : on commence par parler du budget de l'Etat, de dépenses gouvernementales, de dispositifs développés par tel ou tel ministère, et on se retrouve à confondre les dépenses publiques avec les finances publiques (recettes et dépenses de l'Etat, en gros le budget). Ainsi dans cet article de Ouest-France, on parle dans le titre des dépenses publiques "en roue libre" de la France pointées du doigt par la Cour des Comptes, pour en fait parler dans le reste du texte du "dérapage des comptes publics" (on a repéré le même souci dans cet article de Capital). Et c'est l'inverse dans ce papier de BFM : on introduit l'article en parlant du gouvernement qui cherche à économiser 40 milliards sur le prochain budget, pour finalement parler de toutes les dépenses publiques. Bref, on confond les courgettes et les concombres, et on n'y voit rien, comme l'aurait dit Daniel Arasse, s'il eut été féru de macro-économie plutôt que de peinture. 

Pour revenir sur Lenglet : mettre sur le même plan un dispositif étatique et des dépenses de soin c'est mélanger non seulement des dépenses qui ne revêtent pas les mêmes mécaniques de financement, ni de gouvernance, mais surtout pas les mêmes projets politiques. Car, si le budget de l'Etat est, lui, fonction des forces politiques en présence, la sécurité sociale est déjà un projet politique en soi. L'économiste et philosophe Bernard Friot appelle cela le "déjà-là communiste", héritage du programme du CNR et du ministre Ambroise Croizat, grande conquête sociale. La Sécu est surtout la construction majestueuse d'un bastion de socialisation dans un siècle capitalistique, alors en voie de mondialisation. Alors certes, depuis des décennies, depuis les ordonnances Jeanneney de 1967 au plan Juppé de 1995, jusqu'aux suppressions de cotisations chômages pour les salariés en 2018, l'Etat, justement, n'a eu de cesse de saper l'indépendance de la Sécurité sociale, ses capacités de financement, et troque de plus en plus les cotisations pour de l'impôt. Mais justement. Le rappeler, c'est aussi réaffirmer le projet particulier de la Sécurité sociale. Et souligner que les dépenses publiques ne consistent pas seulement en des dispositifs branlants mis en place par des gouvernements en galère, mais aussi en des innovations sociales justes et performantes.

Aussi, comme le fait Lenglet, ne pas faire explicitement la différence entre les finances publiques et les dépenses publiques, c'est associer l'Etat à un projet politique et social qui s'en était rendu autonome ; c'est encore créer un amalgame, surfer sur les errances étatiques et les ratés gouvernementaux pour disqualifier le système si innovant de protection sociale à la française. Un système social qui, s'il dysfonctionne, n'est en fait que la victime de choix politiques douteux. 

COMPTER DEUX FOIS LA MÊME CHOSE

On a déjà parlé, sur ce site, de l'inanité de comparer des choses au PIB, ou, pour reprendre le vocabulaire de Lenglet, à la richesse nationale. Quand on dit que la dépense publique représente 57% de notre PIB, on donne l'impression que l'on prélève plus de notre richesse pour la dissoudre dans le cosmos de l'Etat et des assistés.  "La dépense publique est comparée au PIB pour avoir un ordre de grandeur, mais ce n'en est pas une part, avait écrit dans une tribune au Monde en 2019, l'économiste Christophe Ramaux. Si l'on calcule la dépense privée comme on calcule la dépense publique, elle atteint environ 200 % du PIB, ce qui n'a aucun sens." Ce même Ramaux, qui, en avril dernier dans les colonnes de Basta!, en remettait une couche (on n'en met jamais assez), pour déconstruire cet outil faussement scientifique, sans cesse mobilisé par la doxa libérale : "La dépense publique est un indicateur très imparfait. On mélange un peu tout dedans et on fait des doubles comptes. Par exemple, elle comprend les salaires versés aux fonctionnaires, dont les cotisations sociales… Mais ces mêmes cotisations sont à nouveau comptées dans les dépenses de retraite ! Le chiffre de 57% du PIB n'est pas faux, mais il ne correspond pas à une part du PIB. Ce n'est pas parce que la dépense publique est à 57% que la dépense privée est à 43%."

En réalité, quand on utilise ce ratio de dépenses publiques sur PIB, on ne donne rien d'autre qu'un ordre de grandeur qui permet par exemple de comparer entre divers Etats, la place prise par le public dans le fonctionnement du pays. Rien de moins, et pas grand chose de plus. Que la France soit le leader mondial de la dépense publique et des prélèvements obligatoires est juste la conséquence logique d'une nation qui est sans doute l'une de celles qui cèdent le moins aux logiques individualistes et néolibérales. Une nation qui a fait de la mise en commun non seulement de la valeur ajoutée mais aussi de sa gestion, une valeur cardinale, happée depuis plus d'un demi-siècle par les obsessions austéritaires des exécutifs droitiers. 

Il ne faut pas s'étonner dès lors, que les médias qui détestent les dépenses publiques, défendent le détricotage de la "Sociale", en faisant régulièrement la promotion de la retraite par capitalisation, vers libéral financier dans le fruit des jours heureux communistes. La capitalisation : un "tabou" à lever pour le Figaro, alors qu'il serait "urgent" d'en introduire une dose pour l'Opinion - le tout en alimentant des idées fausses sur son efficacité.

Ce sont souvent ces mêmes supporters du boursicotage de nos avenirs qui s'en prennent à ce qui pourrait mieux la financer, comme par exemple la taxe Zucman sur le patrimoine des ultra riches - rejetée cette semaine par le Sénat. On l'a entendu sur Europe 1 - par la voix d'Olivier Babeau -, on l'a lu dans le Figaro, le Point, et on a vu Nicolas Doze sur BFMTV qui qualifie cette taxe de "folie"

Il faut encore rappeler que la baisse des dépenses publiques, ne signifie pas une baisse des dépenses. Car ce que les forces du collectif ne prennent pas en charge, ce sont les individus et leur vulnérabilité qui doivent les supporter. Et ce, en devant s'en sortir face aux tarifs prohibitifs du secteur privé. Ce n'est pas un hasard si les Etats-Unis ont des dépenses de santé (en pourcentage de PIB, hihi), plus élevées qu'en France. Et ce qui vaut pour la santé, vaut aussi pour d'autres domaines comme le transport : le Royaume-Uni a lancé un plan de nationalisation de ses chemins de fer, face au fiasco de la libéralisation du secteur. La France ne compte pas 68 millions de fonctionnaires comme le lance le taquin Lenglet. Toucher une aide financée par la collectivité ne fait pas de vous un fonctionnaire. Juste un citoyen français. 

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